Le wax entre héritage et réappropriation au Musée de l'homme à Paris : cinq choses à savoir sur une étoffe à l'histoire singulière (2025)

À l'heure où ce tissu connaît une popularité sans précédent dans les sociétés occidentales, l'exposition Wax qui lui est consacrée jusqu'au 7septembre au Musée de l'homme, donne à voir la richesse de ce tissu, reconnaissable entre tous, dont l'histoire singulière est souvent méconnue du public.

"Après l'ouverture de Migrations, une odyssée humaine, c'est important d'ouvrir ce volet autour du wax. Les migrations des populations, c'est aussi les migrations des savoir-faire, des idées et des cultures. C'est important dans un musée comme le Musée de l'homme, qui est un musée d'anthropologie et de société, de parler de ces sujets-là. On l'aborde nonpas comme une exposition de mode, mais vraiment comme une exposition avec un regard anthropologique sur ce textile qui a envahi les marchés à l'échelle de la planète", indique Aurélie Clemente-Ruiz, la directrice du Musée de l'homme.

L'exposition se déploie dans deux espaces: le Balcon des sciences au 2eétage –où son histoire est retracée depuis un peu plus de 120ans entre Afrique, Europe et Asie– et le Foyer Germaine Tillion au 1erétage– où la vitalité du wax dans les domaines de la mode, du design et de l'art contemporain est soulignée. Cette section croise les regards d'anthropologues, d'historiens de l'art, de designers, de couturiers et d'artistes contemporains qui l'examinent sous toutes ses coutures. Mode et art sont deux les deux guides de cette passionnante et colorée exposition. À ne pas rater!

1 Le tissu d'origine indonésienne est arrivé en Afrique au XXe siècle

L'exposition débute au Balcon des sciences au 2eétage par une introduction historique. À l'origine, le wax est une transposition technique et iconographique du batik, un tissu d'origine indonésienne teint grâce à une technique de réserve à la cire. "Ce textile qui vient de Java a comme particularité d'utiliser la cire d'abeille pour obtenir des motifs", explique Manuel Valentin, responsable des collections d'anthropologie culturelle. "On trouve cette technique en Chine dès le VIesiècle, graduellement, elle atteint l'Inde, puis l'Indonésie au XIIesiècle. Au XVIIIesiècle, Java deviendra l'endroit où le batik atteindra son apogée". Industrialisé par les Européens, il a rencontré le succès en Afrique de l'Ouest, puis s'est diffusé sur le continent, se taillant une place de choix dans la galaxie des textiles africains.

2Les motifs des tissus sont porteurs de messages

"Tous ses motifs ont des histoires", souligne Soloba Diakité, enseignante et historienne des arts africains. La richesse de ce répertoire iconographique constitue, aujourd'hui, un véritable patrimoine, qui perdure tout en continuant d'évoluer: certains motifs connaissent un succès durable, d'autres ont un destin éphémère selon l'intérêt que leur porte la clientèle soucieuse de sélectionner des modèles qu'elle pourra réinvestir de valeurs sociales et symboliques.

Des motifs à succès – comme La main, Morceaux de sucre, Fleur de mariage, Œil, Hibiscus, Hirondelle, Le sac de Michelle Obama, Robinet, L'œil de ma rivale, Tu sors je sors, Chérie ne me tourne pas le dos ou Mari capable– indiquent que le wax est plus qu'un simple produit de consommation. Par ses motifs et la coupe du vêtement, il permet à celui ou celle qui le porte de passer un message, de montrer son appartenance à une communauté ou son engagement en faveur d'une cause qui lui tient à cœur.

3Les célèbres Nana Benz ont monté un empire avec le wax

Le wax est devenu avec le temps l'objet d'un enjeu commercial et industriel, dont les cartes sont rebattues depuis la fin de la période coloniale. Plus qu'un produit industriel, c'est un textile symbolique chargé d'affect et transmis à travers les générations, marquant les grands moments de la vie. L'exposition revient sur la saga des Nana Benz, les premières commerçantes distributrices de wax sur les marchés du Togo dans les années1960, qui ont fait fortune de ce commerce lucratif. "Na veut dire mère, grand-mère, c'est honorifique. Dans les années1950 au Ghana, elles vont découvrir ses textiles et les commercialiser à Lomé. Ces femmes très importantes vont leur donner une valeur en les nommant après avoir observé la société. Entre 1960 et 1990, elles montent un empire et vont avoir des monopoles", souligne Soloba Diakité. "Elles sont aussi bien grossistes que revendeuses".

Aujourd'hui, la production s'est mondialisée et tous les wax ne se valent pas. Entre "superwax" et "fancy" coexistent différentes qualités de tissus.

4Le wax est un outil identitaire pour les artistes afrodescendants

Dans le Foyer Germaine Tillion, au 1erétage, des œuvres d'art contemporain ainsi que des créations de mode sont présentées. S'il est généralement perçu comme un tissu "africain", certains artistes considèrent que le wax renvoie en réalité à un imaginaire de l'Afrique stéréotypé et dénoncent le fait qu'il a éclipsé les tissus traditionnels du continent. Acontrario, il est aussi devenu un outil de revendication identitaire, notamment pour les artistes afrodescendants de la diaspora. Les œuvres de Gombo Wax, Thandiwe Muriu ou Omar Victor Diop, entre autres, font état ici de ces différents regards sur le wax.

Pour autant, le wax est-il une incarnation textile du continent africain? Selon Lamine Badian Kouyaté, pionnier du surcyclage pour créer une mode responsable, diversifiée et métissée –présent le jour de l'inauguration de l'exposition– "c'est un élément communautaire. Les femmes achètent leur coupon et comme c'est fait sur mesure, elles vont voir leur tailleur avec des images de magazines. Il y a une part de créativité laissée aux tailleurs, mais aussi une part d'inspiration victorienne". Ci-dessus (à gauche de la photo) la création de Xuly Bêt rend hommage à l'émancipation des femmes, notamment les NanaBenz. "La force des tissus wax est que chaque motif exprime soit une époque, soit une intention, soit un symbole", souligne le créateur. "C'est une problématique de pouvoir d'achat, la puissance vient de l'argent", dit-il en montrant l'imprimé orné d'un motif de porte-monnaie duquel sort une liasse de billets de banques sur un ensemble pantalon et chemise.

5Une BD raconte le paradoxe identitaire du tissu

À ne pas rater également la bande dessinée WaxParadoxe de Justine Sow chez Bayard Graphic qui retrace l'aventure du wax à travers celle de Sofia, une jeune femme métisse qui renoue avec son histoire familiale. Cet ouvrage est le premier publié en tant que scénariste et dessinatrice par cette journaliste à la télévision belge, diplômée de l'école Saint-Luc de Bruxelles en BD, qui montre, ici, son très joli coup de crayon.

Sophia est étudiante en design textile. Son sujet de mémoire est imposé: elle devra étudier le wax. La jeune métisse y va à reculons, mais en travaillant dans une boutique de tissu, en visitant les usines du fabricant néerlandais Vlisco, en écoutant les confidences de femmes africaines, en découvrant le sens des motifs des wax offerts par son père, elle va découvrir la richesse de cette étoffe qui tisse des liens entre Afrique, Europe et Asie. Elle touche du doigt aussi les paradoxes d'un tissu né de la colonisation et devenu un motif de fierté et de reconnaissance pour les habitants d'Afrique de l'Ouest et centrale. La jeune femme découvre alors que les wax que son père lui offrait chaque année étaient davantage que des cadeaux: ils portaient, à travers leurs motifs, des messages d'amour et de confiance.

Exposition Wax, jusqu'au 7septembre2025, au Foyer Germaine Tillion et sur le Balcon des sciences du Musée de l'homme, 17place du Trocadéro, 75016Paris.